De l’érotique de Saint John Perse

Jamais je ne m’étais rendu compte de l’extraordinaire charge érotique d’Etroits sont les vaisseaux (Amers, Saint John Perse). Peut-être l’avais-je mal ou trop vite lu, à moins que, trop immature je n’en ai rien compris, pas un mot, ce qui, à la réflexion est le plus probable car, je m’en rends compte aujourd’hui, ce texte si écrit, si réfléchi mais en même temps si charnel, nécessite, pour être entendu, de la culture certes mais surtout une certaine expérience amoureuse, une longue familiarité avec les femmes, une densité existentielle en quelque sorte.
C’est étrange à dire : je l’ai lu et étudié plusieurs fois avec un détachement presque ennuyeux et là, pour la première fois, et pour une raison inconnue, j’ai vibré en le lisant, j’ai été ému, je l’ai senti, je l’ai éprouvé dans mon corps. Ce poème est venu me parler directement, à moi spécialement et j’ai eu l’impression d’entendre une femme sublime (laquelle ?) me susurrer ces vers  au creux de l’oreille et toucher mon cœur. N’est-ce pas la véritable fonction d’un poème ? Ce qui prouve une fois encore que de l’étude, du travail, de l’explication naît le plaisir qui surgit comme une donnée brute et immédiate sans lien apparent avec la réflexion et le jugement mais qui en réalité n’en est que le fruit. J’aimerais pouvoir citer en entier cet incomparable texte :

Et comme le sel est dans le blé, la mer en toi dans son principe, la chose en toi qui fut de mer, t’a fait ce goût de femme heureuse et qu’on approche…O mon amour au goût de mer…étroits sont les vaisseaux, étroite l’alliance, et plus étroite ta mesure, ô corps fidèle de l’Amante…Tu sens l’eau verte et le récif, tu sens la vierge et le varech, et tes flancs sont lavés aux bienfaits de nos jours. Tu sens la pierre pailletée d’astres et tu sens le cuivre qui s’échauffe dans la lubricité des eaux….Etroite la mesure, étroite la césure qui rompt en son milieu le corps de la femme comme le mètre antique…La mer lubrique nous exhorte et l’odeur de ses vasques erre dans notre lit…Rouge d’oursin les chambres du plaisir. Hommage à la complicité des eaux ! Il n’est point d’offense pour ton âme…plaise au plaisir sacré de joindre sa victime, et que l’Amante renversée dans ses enveloppes florales livre à la nuit de mer sa chair froissée de grande labiée !

Un extraordinaire passage :

Râles de femme dans la nuit ne sont que roucoulement d’orage en fuite sur les eaux…Et mon corps s’ouvre sans décence à l’étalon du sacre comme la mer elle même aux saillies de la foudre…

Et  le final :

La nuit est la passion des hommes. On parle fort au fond des cours. L’aspic des lampes est dans les chambres, la torche avide dans son anneau de fer. Et les femmes sont peintes pour la nuit au rouge pâle de corail. Ivres leurs yeux barrés de mer. Et celles qui s’ouvrent, dans les chambres, entre leurs genoux d’or, élèvent à la nuit une plainte très douce, mémoire et mer du long été – Aux portes des Amants  clouez l’image du Navire !

Pour qui n’aime ni les fleurs ni les fruits de mer, le sexe féminin n’à strictement rien à dire car il ne se contente pas de ressembler aux fruits de mer, il en possède l’inimitable saveur salée, légèrement iodée. Je me suis souvent demandé si ce caractère marin dominant ne provoquait pas en chaque homme des réminiscences océaniques aux résonances profondes ? Si, comme la madeleine de Proust, cela ne nous renvoyait pas à l’onde primitive d’où est issue toute vie ? A nos mères ? Et toujours ce rêve impossible et douloureux d’un retour aux origines, de retourner et de s’enfoncer de toutes ses forces dans cette mer originelle où, décidemment, nous étions bien.

Et mon cœur t’ouvre femme plus fraîche que l’eau verte : semence et sève de douceur, l’acide avec le lait mêlé, le sel avec le sang très vif, et l’or et l’iode, et la saveur aussi du cuivre et son principe d’amertume – toute la mer en moi portée comme dans l’urne maternelle…

A propos cilleros

Psychanalyste, docteur en philosophie, j'aime l'escrime, la haute horlogerie, l'écriture. Les débats, les disputes, les oppositions.
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